Des sauvages et des hommes d’Annelise Heurtier
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Des sauvages et des hommes d’Annelise Heurtier

Merci aux éditions Casterman pour l’envoi de ce roman.

Hello ! Aujourd’hui je vous propose la chronique d’une fiction inspirée d’un fait historique réel : Des sauvages et des hommes d’Annelise Heurtier.

Même si le roman est une fiction, on en apprend énormément sur l’époque et l’auteure a même joint quelques explications sur ses recherches au roman et je trouve que l’aspect histoire est bien traité et important dans ce récit.

Bien sûr, il est clair que Des sauvages et des hommes n’est pas le genre de livre doudou qu’on va adorer et relire pour le plaisir, mais plutôt le genre qu’on lit pour s’éduquer. Il est donc difficile pour moi de le noter en tant que « coup de cœur » puisque la lecture tenait davantage de l’instruction que de l’aventure, même si l’histoire est prenante et bien romancée.

Le résumé

Nouvelle-Calédonie, 1931. Edou est un jeune Kanak aventureux. Alors le jour où des membres de sa tribu sont choisis pour une mission spéciale à Paris, il s’introduit dans le groupe sans réfléchir. Leur mission sera de montrer aux citoyens français comment ils vivent, leurs coutumes, leurs talents. Pour Edou, c’est surtout l’occasion de partir loin et de découvrir cette capitale qui fait rêver. Mais la désillusion est grande : à peine arrivés, le jeune homme et les siens sont installés… dans un enclos. Une pancarte les présente ainsi :  » CANNIBALES ». Une histoire inspirée de faits réels : l’exhibition des Kanaks pendant l’Exposition coloniale de 1931.

~ Retour sur cette lecture ~

Une écriture travaillée

Je tire une nouvelle fois mon chapeau à Annelise Heurtier qui parvient à chaque roman à insuffler quelque chose de différent à son texte, à ses mots. Dans Des sauvages et des hommes, l’auteure a fait le choix de jongler entre deux points de vue : celui de Victor, jeune homme de la société bourgeoise parisienne et Edou, coincé derrière les barreaux de son enclos.

Ce que j’ai adoré c’est que même si le roman n’est pas écrit à la première personne, le ton et le style du récit varie selon si on est dans les parties d’Edou ou dans celles de Victor. Voyez plutôt :

« Au début, il n’y avait pas cru. Comme Germain et Elisée, qui avaient osé l’accompagner pour cette première sortie hors de l’enclos, il avait fixé la pancarte double. Une grande pancarte à deux directions, deux simples morceaux de bois avec des mots. A gauche les crocodiles, à droite les cannibales.

D’abord, les trois hommes étaient restés immobiles, rendus stupides par la surprise.

Et puis, quand l’hébétude s’était dissipée, ils s’étaient mis à parler en même temps, entrecroisant leurs phrases sans s’écouter. »

Annelise Heurtier, Des sauvages et des hommes

« Edouard Noblecourt jeta un œil au dépilant offert par Suze, « l’amie de votre estomac ». Fête de la lumière le 5 juin, Nuit tahitienne le 19, Féerie coloniale le 5 juillet…

Tout le monde s’accorda a dire que le programme était vraiment alléchant. Il fut d’ailleurs décidé qu’on prendrait un abonnement, 20 francs pour les visites à volonté seraient vite rentabilisés. »

Annelise Heurtier, Des sauvages et des hommes

Et là où se situe la prouesse, c’est que cette différence du choix du langage et du ton se gomme petit à petit alors qu’Edou et Victor apprennent à se connaître ! Vraiment, j’ai été bluffée par le travail de l’écriture sur ce roman.

Une histoire sombre

On apprend un morceau d’histoire bien vrai mais que j’ai trouvé très intéressant à découvrir, d’autant plus qu’Annelise Heurtier ajoute à son récit de fiction des extraits de journaux bien réels, tirés d’archives, qui font froid dans le dos. On ne peut qu’apprécier le travail de recherche et l’aspect culturel de ce roman.

Une fin en demi-teinte

Le seul truc qui m’a un peu fait grincer des dents dans Des sauvages et des hommes, c’est son dénouement. Je vous explique tout de suite pourquoi mais avant pas d’inquiétude : même si je parle de la « fin », cette chronique ne contient toujours aucun spoiler sur le roman et il s’agit d’une explication d’ordre général.

Il se trouve que dans Des sauvages et des hommes, Victor va mener plusieurs actions pour aider Edou et ses amis. Or, la façon dont lui-même ressent ses actions ainsi que toute la mise en scène qui en découle avait à mes yeux un air de white-saviorism.

Pour ceux qui ne sont pas familier avec ce terme, on pourrait décrire le white-saviorism comme le fait qu’une personne blanche mène une action pour « sauver » une personne non blanche qui n’est alors plus considérée comme capable de mener des actions elle-même.

Il se trouve que j’ai perçu l’une des actions de Victor comme telle, je vais néanmoins immédiatement nuancer en précisant que c’est ma perception et que ça ne nuit absolument pas à l’aspect historique du récit, ainsi que le fait qu’Edou est lui aussi présenté comme menant des actions ce qui temporise le propos.

Edit du 05/05/2022 :

L’auteure, Annelise Heurtier, a lu ma chronique et a eu la gentillesse de prendre le temps de me faire un retour par mail dans lequel elle m’a entre autres expliqué son choix pour Victor. Elle m’a gentiment permis d’intégrer son explication à ma chronique afin de la nuancer, la voici donc :

« L’honnêteté envers le lecteur est une priorité : lorsque j’écris sur un contexte, une époque, je veux que le lecteur soit assuré que les événements, même romancés, soient vraisemblables et cohérents avec l’époque, les modes de pensées. Or dans ce cas, une remise en contexte est importante : il ne faut pas oublier que d’une part (et c’est terrible !),  l’oppression coloniale pouvait entraîner chez les peuples colonisés une mésestime de soi, un manque de confiance dans leur capacité à être maîtres de leur destin. Ils pensaient les « blancs » si « supérieurs » que c’est même pour cette raison qu’ils s’étaient convertis au christianisme : si leurs dieux à eux ne pouvaient pas lutter contre l’invasion des blancs, c’est que le dieu des colons était plus puissant…
Par ailleurs, et cela est attesté dans les documents que j’ai recherchés pour ce travail, les océaniens se sentaient si « perdus » et déboussolés à Paris (imaginez quand même le choc pour eux !) que ce sortir de ce guêpier leur paraissait impossible. Qui contacter ? Comment ? 
Et enfin, et c’est peut-être l’élément le plus important, les océaniens, au regard de l’administration française, n’étaient pas des citoyens. Une quelconque action de leur part n’avait que très peu de chance d’être couronnée de succès.  Et on leur avait d’ailleurs bien fait comprendre que toute velléité de rébellion se retournerait contre eux, et qu’ils ne reverraient peut-être jamais leur ile. Pour toutes ces raisons, j’ai donc choisi de faire intervenir Victor.
« 

En conclusion

Une bonne lecture que je mettrai entre les mains de tout adolescent ou adulte curieux de connaitre cet aspect de l’histoire et de la colonisation ! Même si la fin de me convainc pas parfaitement, je pense qu’un lecteur avec de l’esprit critique saura apprécier cette lecture et en retenir les bons côtés.

Vous avez lu ce livre ? Qu’en avez-vous pensé ?

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